L'ânecdote :
C'était l'idée de départ, on s'y est accrochés. Nous avons acheté un âne, au bazar de Gramsh, environ trois jours après notre départ à pied. On a réussi à faire baisser le prix de 100 000 leks, on lui a regardé le dos, les sabots, on l'a reniflé, tâté, caressé... On l'a testé et on a vu qu'il était lent... Mais on en avait tellement envie, de cette bourrique ! Du coup, affaire conclue. Mais "Bardoch" (le Blanc), outre le fait qu'il était lent, était vieux. Ou plutôt vieille, car c'était une ânesse. Bardoche donc, la Blanche. Imaginez donc que vous cavalez en montagne avec une vieille grand'mère. Elle est certes charmante avec ses yeux doux et ses attaches fines ; mais ses petits sabots délicats dérapent sur les pierres, elle baisse le cou pour regarder où elle les pose, elle trébuche et du chemin ne voit point les embûches...
Le lendemain de l'achat, sur un sentier descendant assez raide, notre mémère a glissé et s'est retrouvé le popotin par terre, incapable de se relever ! Ah, elle avait l'air fin. Nous l'avons vite déchargée de nos bardas et re-hissée sur ses 4 tiges : un qui pousse derrière, deux qui tirent devant. Et puis on a remis nos sacs sur nos dos. Oui, les nôtres. Comique non ? Quatre humains chargés comme des mules qui tirent un âne bâté à vide. Nous avions l'air fin. De quoi faire rire les passants, enfin... le peu qu'il y en avait. Bilan, on a donné Bardoche le soir même à une famille, qui en était tout interloquée. Mais contente.
Bref, dans l'histoire, on avait oublié de regarder les dents. Les chicots, ça vous donne l'âge de la bête. Mais pas forcément celui du paysan qui la vend. Qui était jeune et plutôt beau, mais avait les dents pourries.
Le lendemain de l'achat, sur un sentier descendant assez raide, notre mémère a glissé et s'est retrouvé le popotin par terre, incapable de se relever ! Ah, elle avait l'air fin. Nous l'avons vite déchargée de nos bardas et re-hissée sur ses 4 tiges : un qui pousse derrière, deux qui tirent devant. Et puis on a remis nos sacs sur nos dos. Oui, les nôtres. Comique non ? Quatre humains chargés comme des mules qui tirent un âne bâté à vide. Nous avions l'air fin. De quoi faire rire les passants, enfin... le peu qu'il y en avait. Bilan, on a donné Bardoche le soir même à une famille, qui en était tout interloquée. Mais contente.
Bref, dans l'histoire, on avait oublié de regarder les dents. Les chicots, ça vous donne l'âge de la bête. Mais pas forcément celui du paysan qui la vend. Qui était jeune et plutôt beau, mais avait les dents pourries.
L'Albanie profonde...
L’Albanie, pays sans route (à part celles qui sont sur la carte, c'est-à-dire pas beaucoup), pays où les sentiers de montagne ne mènent nulle part, pays où le paysage montagneux change sans cesse, pays de crêtes piquées de pins parasols qui se découpent sur le ciel bleu, pays d’odeurs enivrantes et divines de résines, de glissements de terrain sédimenteux, de dégradés de monts bleus à l’infini, de falaises et précipices vertigineux, de sentiers à flan de montagne… Succession de peintures immenses et sauvages, musée à ciel ouvert.
Marcher là-dedans à l’azimut (faute de sentier), c'est se retrouver immergé dans le vert ou le gris, sans repère, sans trace quelconque de chemin ou de présence humaine. Nous avons par exemple bien mérité le village de Sopot, atteint après deux jours de marche « vers le nord ». Quelques heures après notre départ, un vieux fermier édenté, lutin galopant des sentes, nous a emmenés vers une raide ravine rocheuse et barrée de troncs… Notre Obéron des Buis, un brin essoufflé, nous a montré la direction avant de se fondre dans les branchages... Vers le haut ! La pente est de plus en plus raide, la végétation nous permet de nous hisser, et de crête en crête nous finissons par arriver à un point culminant, où nous passons la nuit (dans un joli petit cirque moussu, mais malheureusement les arbres nous bouchent la vue d’un éventuel but à atteindre). Au milieu de cette nuit, cri de Pascal qui a cru entendre un ours. Le lendemain, nous descendons entre les arbres qui nous permettent de nous raccrocher tellement la pente est raide, arrivons à une rivière asséchée, remontons à pic avec des buis que nous empoignons pour nous hisser ; à force d'escalades, de glissades à pic, de semblants de sentiers qui s'arrêtent à nouveau, d’une nouvelle ravine ravinée par les arbres et de pentes raides et de glissades (la montagne est un éternel recommencement), d’une crête longée, de traces de bûcherons au sommet, d'une deuxième crête atteinte et suivie, après deux antécimes, nous parvenons jusqu'à une route de terre (avec une trace d'ours). Le chemin emprunté s’arrêtera encore, fracassé de troncs ; s’en suit un autre gymkhana par les éboulis de terre jusqu'à une rivière, d’où nous remonterons vers le village de Sopot. Quelle n’est pas la stupeur des fermiers du coin de nous voir débouler par le sud et la montagne… Nous sommes dans un cul de sac au fond des montagnes, dans le trou du cul de l'Albanie. Que c'est beau.
L’Albanie, pays sans route (à part celles qui sont sur la carte, c'est-à-dire pas beaucoup), pays où les sentiers de montagne ne mènent nulle part, pays où le paysage montagneux change sans cesse, pays de crêtes piquées de pins parasols qui se découpent sur le ciel bleu, pays d’odeurs enivrantes et divines de résines, de glissements de terrain sédimenteux, de dégradés de monts bleus à l’infini, de falaises et précipices vertigineux, de sentiers à flan de montagne… Succession de peintures immenses et sauvages, musée à ciel ouvert.
Marcher là-dedans à l’azimut (faute de sentier), c'est se retrouver immergé dans le vert ou le gris, sans repère, sans trace quelconque de chemin ou de présence humaine. Nous avons par exemple bien mérité le village de Sopot, atteint après deux jours de marche « vers le nord ». Quelques heures après notre départ, un vieux fermier édenté, lutin galopant des sentes, nous a emmenés vers une raide ravine rocheuse et barrée de troncs… Notre Obéron des Buis, un brin essoufflé, nous a montré la direction avant de se fondre dans les branchages... Vers le haut ! La pente est de plus en plus raide, la végétation nous permet de nous hisser, et de crête en crête nous finissons par arriver à un point culminant, où nous passons la nuit (dans un joli petit cirque moussu, mais malheureusement les arbres nous bouchent la vue d’un éventuel but à atteindre). Au milieu de cette nuit, cri de Pascal qui a cru entendre un ours. Le lendemain, nous descendons entre les arbres qui nous permettent de nous raccrocher tellement la pente est raide, arrivons à une rivière asséchée, remontons à pic avec des buis que nous empoignons pour nous hisser ; à force d'escalades, de glissades à pic, de semblants de sentiers qui s'arrêtent à nouveau, d’une nouvelle ravine ravinée par les arbres et de pentes raides et de glissades (la montagne est un éternel recommencement), d’une crête longée, de traces de bûcherons au sommet, d'une deuxième crête atteinte et suivie, après deux antécimes, nous parvenons jusqu'à une route de terre (avec une trace d'ours). Le chemin emprunté s’arrêtera encore, fracassé de troncs ; s’en suit un autre gymkhana par les éboulis de terre jusqu'à une rivière, d’où nous remonterons vers le village de Sopot. Quelle n’est pas la stupeur des fermiers du coin de nous voir débouler par le sud et la montagne… Nous sommes dans un cul de sac au fond des montagnes, dans le trou du cul de l'Albanie. Que c'est beau.
Les contrebandiers :
Nous arrivons de nuit dans le village de Sopot, le 17 août. Non, tous les villages d’Albanie ne s’appellent pas Sopot. Nous plantons nos tentes dans un champ, à l'extérieur, en toute discrétion. Puis nous assistons, aux premières loges, à un étrange va-et-vient de voitures sur l’étroit chemin qui se trouve en contrebas de notre prairie. Un ballet tous feux éteints, assez louche. Plus tard, une bagnole balaye la campagne avec la lampe-spot qui est fixée sur son toit. Des hommes stationnent plus loin, au bout du chemin ; nous avons vu des lumières. C’est louche. Nous ne sommes pas tous d’accord mais décampons pour aller planter nos tentes en « lieu sûr ».
Nous rebroussons chemin vers le village et repassons devant un homme baraqué qui nous a apostrophés en italien dans le noir, après que son chien ait tenté de nous attaquer… Il nous guide vers le café du coin. L’homme baraqué et l’acolyte qui le rejoint sont tout à fait disposés à nous trouver un terrain, comme s’ils savaient que l’ambiance était particulière ce soir-là (voire tous les jours ?), comme si notre requête était... logique. Le taulier du café nous accueille en nous disant : « non sono mafiosi ». La vérité sort donc de la bouche de ceux à qui l'on n’a rien demandé… Il est décidé que nous pouvons planter nos tentes sur le terrain protégé du café du village, tenu probablement par le mafioso local en chef. Nous dormons ainsi dans la cour, avec un vieux gardien qui veille toute la nuit pour surveiller ce café en construction sur la route de la frontière. Encore bien louche. À force de « louches » la soupière est pleine… Une petite précision s’impose : nous sommes à moins de 10 bornes du Kosovo.
---
Dans une ferme un jour je sympathise avec un Albanais qui a fait des tas de métiers clandestins à l’étranger, et est en cela bien représentatif des Albanais (qui travaillent partout dans le monde pour subvenir aux besoins de leur famille et se faire construire des maisons neuves au pays). Il est interdit de séjour en Suisse, a trafiqué de la drogue, a passé deux ans en prison dans tel pays, un an dans un autre, s’est fait refouler à moult frontières, etc. Pas vraiment un enfant de chœur. Trouver du fric était pour lui la priorité, et il n’a aucun problème de conscience. Ici c'est un agneau qui nous emmène vers un raccourci pour atteindre notre but. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
Nous arrivons de nuit dans le village de Sopot, le 17 août. Non, tous les villages d’Albanie ne s’appellent pas Sopot. Nous plantons nos tentes dans un champ, à l'extérieur, en toute discrétion. Puis nous assistons, aux premières loges, à un étrange va-et-vient de voitures sur l’étroit chemin qui se trouve en contrebas de notre prairie. Un ballet tous feux éteints, assez louche. Plus tard, une bagnole balaye la campagne avec la lampe-spot qui est fixée sur son toit. Des hommes stationnent plus loin, au bout du chemin ; nous avons vu des lumières. C’est louche. Nous ne sommes pas tous d’accord mais décampons pour aller planter nos tentes en « lieu sûr ».
Nous rebroussons chemin vers le village et repassons devant un homme baraqué qui nous a apostrophés en italien dans le noir, après que son chien ait tenté de nous attaquer… Il nous guide vers le café du coin. L’homme baraqué et l’acolyte qui le rejoint sont tout à fait disposés à nous trouver un terrain, comme s’ils savaient que l’ambiance était particulière ce soir-là (voire tous les jours ?), comme si notre requête était... logique. Le taulier du café nous accueille en nous disant : « non sono mafiosi ». La vérité sort donc de la bouche de ceux à qui l'on n’a rien demandé… Il est décidé que nous pouvons planter nos tentes sur le terrain protégé du café du village, tenu probablement par le mafioso local en chef. Nous dormons ainsi dans la cour, avec un vieux gardien qui veille toute la nuit pour surveiller ce café en construction sur la route de la frontière. Encore bien louche. À force de « louches » la soupière est pleine… Une petite précision s’impose : nous sommes à moins de 10 bornes du Kosovo.
---
Dans une ferme un jour je sympathise avec un Albanais qui a fait des tas de métiers clandestins à l’étranger, et est en cela bien représentatif des Albanais (qui travaillent partout dans le monde pour subvenir aux besoins de leur famille et se faire construire des maisons neuves au pays). Il est interdit de séjour en Suisse, a trafiqué de la drogue, a passé deux ans en prison dans tel pays, un an dans un autre, s’est fait refouler à moult frontières, etc. Pas vraiment un enfant de chœur. Trouver du fric était pour lui la priorité, et il n’a aucun problème de conscience. Ici c'est un agneau qui nous emmène vers un raccourci pour atteindre notre but. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
Les portes ouvertes albanaises...
La générosité ici ne s'achète pas ; et quand parfois on se retrouve à quémander du pain dans une ferme… impossible de le payer.
Ô combien de verres de « délleu » (orthographe phonétique ; boisson locale correspondant à du yaourt dilué) nous a-t-on offerts, de déjeuners cuisinés spécialement pour nous, de café, de raki, de pain, de fromage, de raki, de raki, de raki (Pascal n'en peut plus ; à nous les femmes on ne nous en propose pas)… ?? Et que dire de ces familles adorables qui insistent pour nous garder avec elles ? Le prix du voyage itinérant est cependant d'avancer, même si c’est parfois un arrachement… Par exemple quand la fille timide de la maison nous apporte à chacun un grand verre de délleu sur un plateau… Et que nous repartons avec du pain, 4 concombres, du fromage... et des sourires plus qu’il n’en faut ! Ce sont ces derniers qui nous retiennent le plus ; mais paradoxalement, a contrario du pain, ils ont l’exceptionnelle vertu d’alléger nos besaces.
La générosité ici ne s'achète pas ; et quand parfois on se retrouve à quémander du pain dans une ferme… impossible de le payer.
Ô combien de verres de « délleu » (orthographe phonétique ; boisson locale correspondant à du yaourt dilué) nous a-t-on offerts, de déjeuners cuisinés spécialement pour nous, de café, de raki, de pain, de fromage, de raki, de raki, de raki (Pascal n'en peut plus ; à nous les femmes on ne nous en propose pas)… ?? Et que dire de ces familles adorables qui insistent pour nous garder avec elles ? Le prix du voyage itinérant est cependant d'avancer, même si c’est parfois un arrachement… Par exemple quand la fille timide de la maison nous apporte à chacun un grand verre de délleu sur un plateau… Et que nous repartons avec du pain, 4 concombres, du fromage... et des sourires plus qu’il n’en faut ! Ce sont ces derniers qui nous retiennent le plus ; mais paradoxalement, a contrario du pain, ils ont l’exceptionnelle vertu d’alléger nos besaces.